Glossaire M-P

(Source : Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000) 

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Modalité, modalisation : Est dit modal un prédicat qui modifie un autre prédicat. Cette définition générale peut être parta­gée par les différentes disciplines qui étu­dient le champ de la modalité (logique, linguistique, sémiotique). L’approche sémiotique de la modalité, se détachant à la fois de la modalisation linguistique (qui caractérise la relation que le sujet énoncia­teur entretient avec son énoncé, selon ses degrés de certitude par exemple) et de la modalisation logique (qui envisage la modalité dans le calcul propositionnel en dehors de la réalité culturelle du discours), considère que celle-ci forme, au niveau    de   l’énonciation   comme  à  l’intérieur des énoncés, le « support constant du discours » (J.-Cl. Coquet). On parle alors de valeur modale. Les énoncés élémentai­res (énoncés d’état et énoncés de faire) peuvent fonctionner comme énoncés modaux, mettant ainsi à nu la structure interne du schéma   narratif : le contrat, c’est le faire modalisant le croire, le vou­loir, le savoir… et finalement le faire (fac­titivité), la compétence, c’est l’être moda­lisant la possibilité de faire, la performance, c’est le faire qui modalise l’être (« faire être » définit l’acte), la sanction, c’est l’être qui modalise l’être ou le paraître (la véridiction). Définissant le sta­tut de l’actant lui-même, la modalité peut être manifestée par des verbes modaux (vouloir, devoir, croire, savoir, pouvoir) mais aussi bien par des formants figuratifs (une automobile par exemple peut modali­ser son propriétaire par le /pouvoir/). La structure de l’actant est analysable à la fois en termes de paradigme modal (un sujet peut à la fois vouloir faire, pouvoir faire et devoir ne pas faire) selon une combinatoire éventuellement complexe, et en termes de syntagmatique modale (son statut est évolutif tout au long du discours).

Mode d’existence : Le mode d’existence définit le statut variable des formes de pré­sence sous lesquelles les objets sémioti­ques se manifestent dans le discours (actants, modalités, temporalité, etc.). La tradition saussurienne distinguait l’exis­tence virtuelle (le système de la langue) et l’existence actuelle (sa réalisation dans la parole). Élargissant son champ d’applica­tion, la sémiotique a ajouté à la virtualisa­tion et à l’actualisation un troisième mode d’existence, la réalisation. Ainsi, le contrat ou la manipulation virtualisent le sujet, la compétence l’actualise, l’action et la reconnaissance le réalisent. Les modalités du croire, du vouloir ou du devoir engen­drent un sujet virtuel, le savoir et le pouvoir un sujet actualisé, le faire un sujet réalisé. Plus largement encore, on peut considérer que les modes d’existence concernent la modulation des formes de pré­sence du sens au sein du discours : ainsi par exemple, dans le cas des figures telles que la métaphore, la coexistence éventuellement tendue et concurrentielle entre les différents plans de signification appelés par la figure est régie par ses modes d’existence : l’un peut être virtualisé, un autre actualisé, un troisième potentialisé, un quatrième réalisé. Cette approche permet de rendre compte, aussi près que pos­sible de sa réalité fluctuante, des modula­tions du sens.

Monde naturel : Les sémioticiens rejettent le concept de référent (l’univers extra-linguistique). Ils considèrent le « monde naturel » comme une sémiotique dans la mesure où, en tant que plan de l’expression, il est informé par l’homme et érigé en signification. La référence devient alors une question de corrélation entre deux sémiotiques (celle d’une langue naturelle, ou d’un langage pictural avec celle du monde naturel), et les ajuste­ments entre ces deux sémiotiques, loin d’être de simple dénotation, sont soumis à de profondes variations (culturelles entre autres). Il reste toutefois que cette « information » du monde naturel demande qu’on examine les conditions d’émer­gence du sens à partir du sensible. D’où les recherches menées aujourd’hui en sémiotique sur l’esthésie (la perception des sensations), la sensorialité et la pluri­sensorialité (la synesthésie), pour dégager les modes sémiotiques du sensible (saveur, olfaction, etc.) en liaison avec la figurativité du discours.

Motif : Unité de discours figée et relativement autonome (sous forme de séquence ou de micro-récit), caractérisée d’un côté par sa stabilité narrative et figurative, et de l’autre par sa variabilité thématique : le motif (du mariage par exemple)     peut     recevoir    différentes fonctions selon sa position dans le récit (en position de contrat initial ou de récompense finale). On a ainsi souvent souligné le caractère migratoire des motifs, qui, d’un texte à un autre ou d’une culture à une autre, forment des « blocs pré-contraints » de discours, produits de l’usage socio-culturel.  

 

 

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Narrateur : Instance déléguée par le sujet d’énonciation, assumant la prise en charge du discours narratif. Selon qu’il est expli­citement installé dans le récit ou qu’il ne l’est pas, on parle de narrateur intra-diégé­tique ou de narrateur extra-diégétique (G. Genette). Les notions de perspective, de point de vue et de focalisation précisent les nombreuses affectations du narrateur (on le distingue, pour cette raison, de l’observateur).  

 

 

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Observateur : Sujet cognitif installé par l’énonciateur, grâce au débrayage, chargé de recevoir l’information et de la transmet­tre. Ses modes de présence dans le discours sont variés : il peut être implicite, recon­naissable seulement par l’analyse (ainsi, par exemple, un « événement » est une « action » envisagée du point de vue d’un observateur), il peut être manifesté par l’indication d’un poste d’observation, il peut être installé dans le texte par une marque personnelle et un prédicat perceptif, son activité peut être prise en charge par un acteur installé dans le récit. Les relations entre observateur et observé peuvent être complexes et réversibles (le sujet qui se sait observé peut chercher à modifier, manipu­ler, tromper le sujet observateur…).  

 

 

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Parcours génératif : Hypothèse méthodo­logique concernant l’économie d’ensem­ble de la théorie sémiotique. Disposé en différents paliers de profondeur, selon des strates supposées se convertir l’une dans l’autre, il simule la « génération » de la signification à partir de structures profon­des générales (structure élémentaire du carré sémiotique ou pré-conditions de cette structure) qui, d’enrichissement en enrichissement, se convertissent en structures sémio-narratives (syntaxe modale et actantielle), lesquelles se convertissent à leur tour en structures discursives (par la thé­matisation et la figurativisation qui installe les acteurs, l’espace et le temps). On peut dire par exemple que les relations sur le carré deviennent ainsi des opérations syn­taxiques (programmes narratifs) qui deviennent un procès, lequel devient une action racontée et est perçue comme un événement. Cette hypothèse, féconde par les problématiques qu’elle a suscitées, se trouve aujourd’hui, en raison de sa rigidité et des présupposés qu’elle implique, affaiblie.

 

Passion : Deux conceptions sémiotiques de la passion sont à distinguer : l’une définit la passion par rapport à l’action, l’autre par opposition à la raison. Envisagée sur fond de toile narratif (en relation donc avec l’agir), la passion est comprise comme une modulation des états du sujet, provoqués par les modalités investies dans l’objet (enviable, haïssable, redoutable, etc.) qui définissent en le bouleversant « l’être » du sujet. Ces modalités d’état sont sous-tendues par la thymie, « disposition affective de base » détermi­nant la relation du corps sensible avec son environnement. Transposée en sémanti­que comme une catégorie classématique, la thymie s’articule en un versant positif, l’euphorie, en un versant négatif, la dys­phonie, et en un versant neutre, l’a-phorie. Les modalités d’état sont en outre intensi­fiées, dans le cas de la passion, par la « sensibilisation » des objets qui relève de l’aspectualité (cf. les passions inchoatives comme l’impulsivité, ou terminatives comme la nostalgie). Enfin, la structure passionnelle est « contrôlée » par la mora­lisation, c’est-à-dire par la régulation sociale qui fixe la mesure, entre excès et insuffisance, de la circulation des valeurs.   Envisagée   du   point  de  vue  de l’instance énonçante, la passion soumise à l’inhérence du corps et du monde sensible est une forme du non-sujet : le passionné pré­dique, mais il lui manque le jugement qui transforme la prédication en une assertion assumée et « réfléchie ». La passion s’oppose alors à la raison.

 

Pathémique : Néologisme formé à l’aide de la racine pathos et du suffixe -ème,-émique. Ce suffixe, que l’on trouve en linguistique dans « phonème », « sème »,  « sémème », etc. (et par extension en anthropologie dans « mythème »), désigne l’unité minimale de description d’un phé­nomène dans le champ de pertinence des sciences du langage. Le « pathème » est ainsi une unité sémantique du domaine passionnel. Son emploi évite toute confu­sion avec une saisie psychologique de l’univers affectif dans le cadre du discours. L’étude de la dimension pathémique du discours, complémentaire des dimensions pragmatique et cognitive, concerne non plus la transformation des états de choses (ressort de la narrativité), mais la modulation des états du sujet, ses « états d’âme ». Cette dimension fait l’objet de la sémioti­que des passions.

 

Perspective : À la différence du point de vue qui implique un observateur, la mise en perspective relève de la textualisation. Elle consiste dans le choix que fait l’énon­ciateur, compte tenu des contraintes de la linéarité, de sélectionner le parcours narratif de tel ou tel acteur au détriment de tel ou tel autre, également présent sur la scène narrative. Ainsi, dans le roman policier, le choix consistera à placer le lecteur dans la perspective de l’enquêteur, dans celle du criminel ou dans celle de la victime…

 

Point de vue : Ensemble des procédés uti­lisés par l’énonciateur pour sélectionner les objets de son discours et en orienter l’éclairage. Cette notion intuitive (elle relève du langage ordinaire comme du métalangage technique) doit être précisée. Elle s’applique en effet aux différentes formes de discours : narratif, descriptif, argu­mentatif, et concerne dans chaque cas le jeu des positions énonciatives (du débrayage à l’embrayage), la relation modale instaurée entre le sujet (narrateur, observateur, argumentateur) et son objet, les stratégies de structuration que détermi­nent les contraintes de la textualisation (ce qui est avant/ce qui est après, les relations entre les parties et le tout, le passage du particulier au général ou inversement, etc.). Le vaste champ du « point de vue » a été précisé à l’aide de concepts plus spéci­fiques tels que « focalisation », « perspec­tive », « observateur ».

 

Pragmatique : La dimension pragmatique désigne l’univers de l’action proprement dite, mettant en scène des sujets humains en relation avec des objets concrets (tré­sors cachés, territoires à conquérir, dan­gers à fuir, etc.). Cette dimension est mise en œuvre dans les discours ethno-littérai­res (récit mythique, conte…), littéraires (roman, nouvelle…) ou sociaux (journalis­tique dans les récits de faits divers, publici­taire…). L’emploi qui est fait en sémioti­que du terme « pragmatique » doit être distingué de la « Pragmatique », discipline de la théorie du langage qui envisage l’analyse de la langue en acte, à travers son effectuation et ses effets sur l’interlocuteur (interaction).

 

Programme narratif : Opération syntaxique élémentaire de la narrativité, qui assure la transformation d’un énoncé d’état (de disjonction par exemple) en un autre énoncé d’état (de conjonction) par la médiation d’un énoncé de faire. La structure d’un texte narratif présente une architecture complexe de programmes, qui peuvent être répétés (d’échec en échec pour conduire à la réussite, marquant ainsi la difficulté de l’épreuve), enchâssés (un programme pouvant se trouver suspendu   ou  détourné  par la réalisation d’autres programmes), hiérarchisés (la réalisation d’un programme « de base » pouvant exiger pour s’accomplir la réalisation de programmes intermédiaires, dits « d’usage »). Enfin la grille culturelle de lecture des récits contextualise les programmes dans un schéma canonique de portée générale qui ordonne leur parcours et en oriente les finalités : le schéma nar­ratif. 



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